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> … > Forum de la poésierythme de l'âme ou règles mal comprises, et appliquées.

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Jean-Mi
Posté par Jean-Mi
le 23/05/2010

rythme de l'âme ou règles mal comprises, et appliquées.

" celui qui compte sur ses doigts pour savoir s'il a son nombre de pieds, n'est pas un poète, c'est un dactylographe." Léo ferré. (à débattre)

1. Commentaires (10)

Posté par
le 24/05/2010
Baudelaire, Rutebeuf, Verlaine, Villon, Aragon rimaient en mètre et étaient d’immenses poètes.
D’autres font du vers libre et ne sont pas moins immenses.
Mais les uns et les autres ont une oreille qui les dispense de compter sur leurs doigts.
Quand ils veulent huit syllabes dans un vers, elles y sont, point.
Parce que la métrique n’est pas une arithmétique, elle est une musique.
Les rythmes, les ruptures de rythme, les retours de sonorités, les jeux de correspondances sonores (qui circulent aussi à l’intérieur des plus beaux vers, et pas seulement à la rime) participent de cette musicalité.
A cela j’ajoute que les règles «bien comprises» (condition sine qua non pour être en mesure de les enfreindre) sont elles-mêmes sources d’images inattendues, de rapprochements qu’un coulé «naturel» de la langue n’aurait jamais produits.
En ce sens, la règle classique (par exemple) n’est rien d’autre qu’un procédé «oulipien» avant la lettre !

Ceux qui, au nom de la poésie opposée à la règle, ou à la métrique, ou à la prosodie, et que sais-je encore, veulent empêcher les autres de «compter leurs syllabes» en rond ne sont pas plus poètes que les précédents : ce sont des censeurs patentés.
Mais Ferré ne visait pas ceux qui maîtrisent les règles : il visait ceux qui les appliquent mécaniquement.
Inversement, la prétendue caducité de la règle sert trop souvent de prétexte à tronçonner de la prose n’importe comment et à la rebaptiser «vers».

Que chacun fasse comme il l’entend, avec ou sans mètre, avec ou sans rime : la seule bonne façon d’écrire est celle qui permet à tel ou tel de trouver sa voix, ses mots, son verbe.
Bien sûr, il est souhaitable que cette voix soit audible par d’autres, sans quoi, à quoi sert de publier ?
Jean-Mi, puisque vous lancez le débat, je vous emprunterai l’exemple de votre texte «Bonsoir» qui est un vrai poème chargé d’images, de sensations, de mélancolie, sans mètre ni rime. J’écris cela en restant, à titre personnel, attaché à mes vers réguliers.

À mon sens, le débat qui cherche à opposer le mètre, ou la rime, à la poésie, est donc parfaitement stérile.
Je continuerai à respecter le vers libre chez ceux qui le maîtrisent et à m’en abstenir pour ma part parce qu’il n’est pas le moyen d’expression qui me convient.
Pour élargir mon propos, sachez que mon premier champ d’expression est le dessin. Eh bien ! m’interdire de rimer ou de métrer reviendrait à m’imposer l’appareil photo alors même que je suis et reste un dessinateur, sous le fumeux prétexte que «le dessin, c’est has been».
Jean-Mi
Posté par
le 24/05/2010
Tout à fait d'accord. Je suis même, déférence gardée envers maître François, en pleine écriture de mon testament en huitains octosyllabiques. Ce qui m'attriste n'est pas la forme (Villon m'enchante autant qu'Henein) mais son culte.
Jean-Mi
Posté par
le 24/05/2010
J'ajoute les contrerimes de Toulet et leurs sourires mouillés de larmes iridescentes.
Posté par
le 24/05/2010
Un vaste et passionnant débat.
Je ne suis pas sûr que ce culte de la forme existe encore, mais je ne suis pas dans l’enseignement du français…
Mon souci quant à la forme aujourd’hui n’est pas qu’elle soit trop ou pas assez prise en compte mais qu’elle soit largement méconnue et incomprise.
J’ai déjà cité ailleurs ce propos de Ravi Shankar :

«To break the rule, you need to know the rule.»
Pour enfreindre la règle, il vous faut la connaître.

Enseignant à l’occasion le dessin «fondamental», je peux dire que mes méthodes font généralement l’étonnement et la joie des étudiants, qui se découvrent brusquement de nouvelles marges de progression dans un domaine où on les avait longtemps laissés à eux-mêmes. Et sur quoi s’appuient mes cours ? sur l’observation, la technique, la perspective, l’anatomie, toutes notions prises en grippe par le vingtième siècle.
Or ce travail est indispensable à toute réflexion véritable sur l’art, sur les rapports sujet-objet que l’artiste entretient avec le monde. Ce que le dessin d’observation nous enseigne, ce n’est pas à «bien dessiner», c’est à poser un regard plus aigu, plus engagé, et au final plus personnel sur les choses.
Que la représentation figurative servile de ce qui nous entoure soit appelée à un dépassement, qui peut le nier aujourd’hui? Mais comment dépasse-t-on un stade que l’on n’a jamais atteint?
(J’aimerais sur ce point l’avis des psys…)
L’évolution d’un être humain dans toutes ses facettes passe par l’appropriation de certains concepts, quand même, ensuite, on les rejetterait par choix.

Ne pas faire des alexandrins n’est pas un choix lorsqu’on ne sait pas «compter ses syllabes». Ne pas dessiner «figuratif» n’est pas un choix lorsqu’on en est tout simplement incapable.
Ce qui me remet en mémoire un mot d’humour anglais :

«Un gentleman est un homme capable de jouer de la cornemuse, et qui s’en abstient.»
Jean-Mi
Posté par
le 24/05/2010
Une des notes de Baudelaire dit à peu près (je cite de mémoire): "La contrainte, mère de l'idée." Il a raison. Reste à savoir de quelle contrainte on parle. S'il s'agit des contraintes imposées par les écoles littéraires, la poubelle s'impose. A mon sens, il n'est de contraintes poétiques que celles de l'âme, ainsi dans chacun de mes livres que des éditeurs assez fous ont pris le risque de publier
une contrainte différente s'est imposée, ce qui m'est apparu de toute évidence quand j'ai écrit "les jupes noires éclaboussent" (pas de pub, c'est épuisé) dont tous les verbes sont conjugués à l'imparfait en des paragraphes uniquement articulés de virgules. Ce n'était pas un caprice, c'était le rythme de l'enfance qui prenait le pouvoir. Le culte de la forme, contrairement à votre perception, existe et s'obstine, il n'est que de lire le forum de ce site pour voir à quel point certains s'angoissent d'un alexandrin boiteux, d'une rime riche ou misérable, d'un hiatus voyou.... Desnos pouvait écrire des alexandrins splendides ( The night of loveless nights)aussi bien que les textes explosifs de "langage cuit" et de "corps et biens". Ce qui m'afflige chez quelques auteurs c'est leur souci de conformité à des règles qui ont (mal) inspiré les Sully Prudhomme et autres parnassiens. Oh, comme j'aime Joyce Mansour quand elle termine son poème par: "Je me déshabille / virgule par virgule / point"
Posté par
le 24/05/2010
J'ai lu quelque part «Sous la contrainte, l'idée jaillit plus intense» : toujours de Baudelaire.

Mais on tourne en rond.
D'abord j'ai trouvé des moments enchanteurs chez Sully Prud'homme ou Jean Moréas (et d'autres moins convainquants). Mais passons.

L'alexandrin boiteux me dérange quand il s'intitule alexandrin et n'en est pas un.
Des quantités de phrases en prose de longueur variable entre 9 et 16 syllabes nous sont présentées comme des «alexandrins» : où est l'intérêt ?
Si on ne veut pas s'encombrer d'une mesure, on ne devrait pas la revendiquer — puisqu'elle n'est pas obligatoire.

En outre aucune école n'impose quoique ce soit. Elle propose, et l'on adhère ou pas.
La tendance actuelle est à bannir la contrainte : c'est ce qui m'est proposé. Je n'adhère pas. Je choisis librement mes chaînes…
Je ferais partie de ces affligeants post-parnassiens si j'avais une once de prétention littéraire. Si j'écris des rondeaux ou des ballades (et autres «épiceries» proscrites par Du Bellay et consorts) ce n'est pas par conservatisme ou par passéisme mais parce que le rondeau est une forme que j'estime à même de couvrir un vaste registre. Si on ne doit plus en trouver qu'à la poubelle, je boufferai dans les poubelles.

L'époque met à notre disposition une infinité de registres. Des musiciens font revivre des musiques et des instruments oubliés. Des restaurateurs écument les campagnes en quête de légumes qu'ils tentent de sauver de l'extinction.
Et nous devrions bannir certaines formes du paysage ? Mais personne n'est obligé de lire une villanelle s'il n'aime pas ça ! Au passage, il se privera d'un des plus beaux poèmes de Dylan Thomas sur la mort de son père («Do not go gentle into that good night…»)

Dylan Thomas qui a du reste écrit l'essentiel de son œuvre en vers libres envoûtants.

Non, décidément, je me refuse à choisir un camp et à excommunier l'autre.
Un ami m'affirmait un jour, arguments très pointus à l'appui, que le cinéma était le plus minuscule des arts mineurs.
J'admire ses certitudes, moi qui ne connais pas d'arts majeurs. Seulement des artistes majeurs, et les miens ne sont pas forcément ceux de mon voisin. Ils sont ceux dont l'œuvre fait jaillir en moi l'émotion brute.
Jean-Mi
Posté par
le 24/05/2010
Bien sûr, il n'est question ni d'excommunier ni de mettre à l'index, l'église s'en est chargée. Il n'est question que des impératifs de l'esprit. Vous avez raison: on tourne en rond. Je revendique la liberté absolue en poésie, y compris celle d'adopter les formes du passé. Mais amis Guy Chambelland et Christian Bachelin ne s'en sont pas privés. Ce qui me semble antipoétique au possible c'est cette attitude de bon élève écrasé sur son papier japon et par son angoisse d'être hors norme, il me semble que les surréalistes ont fait justice de cet écrasement. Mais qui lit encore Benjamin Péret, René Crevel?... Puisque vous aimé, vous aussi, Dylan Thomas je vous adresse ces quelques vers: "Les fenêtres coulent dans leur coeur / et les portes brûlent dans leur cerveau"
Jean-Mi
Posté par
le 24/05/2010
Pardon pour les erreurs d'orthographe: j'écrivais tout en répondant au téléphone.
Posté par
le 24/05/2010
Le «syndrome du bon élève» résume assez bien la problématique que nous abordons ici, et que votre titre de forum énonçait parfaitement : le «règles mal comprises».

Une règle ou une contrainte bien comprise est à mon sens celle qui sert le poème.
Elle est mal comprise quand c’est le contraire…
Il me semble d’ailleurs que la poésie qui servirait autre chose qu’elle-même court le très grand risque de se dissoudre dans cet autre chose.

Je crois en fait que toute la question des règles et des techniques tourne autour de la question de leur enseignement, non comme autant de normes sacro-saintes, mais comme outils et repères… qu'au besoin on doit savoir dépasser.
Jean-Mi
Posté par
le 25/05/2010
Je partage cette opinion: "... on doit savoir dépasser." Faute de quoi, la poésie qui, à mon sens, est une façon de vivre ne reste qu'un petit jeu de société où compter les syllabes, les rimes masculines et féminines, où s'inquiéter des césures et des hiatus ne présente pas plus d'intérêt qu'une partie de mikado. Dépasser... Heureusement, Artaud dépassa Jacques Rivière, Breton Valéry et les symbolistes qu'il estimait... Quoi qu'il en soit, j'ai eu plaisir à débattre avec vous et à découvrir vos poèmes.
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